La Mémoire des Arbres

Le chant des oiseaux réveilla doucement Taogan. Doucement, il s'étira, encore appuyé contre le chêne contre lequel il avait dormi. Le grullo était parti se changer les idées dans la forêt verdoyante; il aimait bien y passer un jour, quand l’organisation de son humain le permettait. Cette fois, il avait l'air de rester en ville quelques temps, alors il avait pris la liberté de venir se ressourcer dans les bois. Cette forêt était vivante, les arbres y étaient sains, les animaux s'y affairaient tranquillement et il semblait y faire bon vivre. Et, détendu, il s'était autorisé un petit somme, d'une oreille seulement tout de même, au pied du grand arbre. Il fallait dire que, même s'il s'était passablement reposé depuis ses derniers voyages, il n'était pas contre un peu de calme. Et en ville, eh bien, même s'il pouvait être dans un coin un peu plus tranquille, l'agitation des hommes ne lui permettait pas d'être totalement détendu non plus, sans parler des travaux autour du Saloon récemment... bref, un changement d'air lui faisait du bien!

Sans se presser, il se leva avant de secouer sa crinière et son corps un peu engourdi.Il se mit en marche doucement vers le petit étang qu'il avait repéré avant, la soif se faisait tout de même un peu sentir. Mine de rien, même après des années sans vivre totalement libre, même après la capture des hommes, les réflexes et habitudes sauvages éteint restées. Tant mieux, et c'était bien grâce à ça qu'il s'autorisait de si longues sorties sans forcément être entouré d'une harde. sans ces connaissances, il ne ferait pas forcément long feu. Une pensée alla à Narcisse, ce cheval d'humain qui n'avait jamais pu apprendre à se débrouiller dehors, et qui semblait si amer de sa situation. A sa place, le grullo l'aurait été aussi, probablement. Encore un peu perdu dans ses pensées, il but à sa soif avant de repartir plus loin dans la forêt, sans vraiment savoir où ses pas le mèneraient, mais sans se perdre pour autant.

Il était désormais dans une zone de la forêt où les arbres laissaient plus de place au reste de la végétation, et y marcher était plus aisé. Tranquillement, il avançait, lorsqu'au loin, il entendit un bruit. Il lui semblait que c'était un autre équidé, mais il n'en connaissait pas dans cette région, sans pour autant avoir la prétention de connaître tous les chevaux du coin, il préférait prévoir son coup. Pacifiste comme à son habitude, il s'arrêta simplement au milieu du chemin en observant devant lui, attendant que l'étalon ou la jument qui venait en sa direction le remarque avant de décider de l'action à entreprendre.

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La Mémoire des Arbres

Au loin, déboulant à toute allure du chemin, une jument se rapprochait de lui à toute vitesse. Lui-même franchement visible, il ne recula pas particulièrement, pensant que celle-ci le remarquerait, mais il eut tout juste le temps de reculer à peine sur ses membres pour ne pas se la prendre de plein fouet. Elle l'avait remarqué à seulement quelques mètres de lui, et l'impact avait évité de peu!
L'inconnue ne perdit pas une seconde avant de prendre la parole, terriblement gênée:

- Pardon! Pardon pardon!

Elle avait reculé de quelques pas, tout en continuant de se confondre en excuses. La poussière du sol commençait à peine à retomber, tandis que le grullo pouvait l'observer plus attentivement; à première vue, elle semblait être sauvage. Pas d'odeur d'homme ou autre signe indiquant une quelconque appartenance. D'une jolie couleur beige, presque couleur peau, ainsi qu'une raie de mulet et quelques tâches blanches, la jument semblait jeune. Adulte, sans trop de doute, mais très âgée, En tout cas, une certaine... innocence, peut-être, semblait se dégager d'elle. Et bon, de la voir les oreilles en arrière, les jambes tremblantes, Taogan se sentait mal pour elle.

- Je suis vraiment confuse, je ne vous avais pas vu!

Taogan releva les yeux vers la beige, croisant son regard désolé. Ses yeux semblaient humides, avait-elle pleuré? Que diable lui arrivait-elle pour qu'elle se retrouve dans cet état?
Il ne devait pas y avoir de poursuivant, dans quel cas elle aurait probablement continué à courir, alors quoi?
Ne voulant pas la brusquer, le grullo prit doucement la parole, se montrant le plus bienveillant possible:

- Ce n'est rien, ne t'inquiète pas, ça arrive.

Il hésita quelques secondes, avant d'ajouter, tournant un peu la tête sur la côté en l’observant, interrogateur :

- Et toi, ça va? Tu ne t'es pas fait mal? C'était un freinage serré, quand-même...

Ses doutes quant à une possible hostilité de l'inconnue s'étaient envolés depuis un moment déjà. Il était désormais plus inquiet pour elle qu'autre chose, à vrai dire...

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La Mémoire des Arbres

La jument semblait doucement reprendre ses esprits, ou du moins, se calmer un petit peu. Ses jambes ne tremblaient presque plus, et après un long soupir, elle répondit :

- Non, je vais bien, merci. Répondit-elle d'une voix moins agitée qu'avant, semblant un peu lasse. Je suis vraiment désolée, je ne voyais pas où j'allais.

Il n0avait pas de mal à croire qu'elle ne l'ait pas vu, vu son état. Fuyait-elle quelque chose? Dans quel cas, elle ne se serait pas arrêté, et aurait recommencé à fuir, en toute logique. Au moins, elle allait bien et ne s'était pas fait mal, Taogan était rassuré, il n'aurait pas voulu être en partie responsable d'une blessure, même s'il n'avait pas réellement eu d’influence là-dessus. Il voulait lui en demander plus sur elle, lorsque la jument releva la tête et sembla instantanément inquiète, scrutant les environs, d'un coup en alerte. Taogan, en réaction, chercha un bruit en faisant pivoter ses propres oreilles, tandis qu'elle lui demanda :

- Tu es tout seul ?

La claire avait ramené son attention sur le grullo en lui demandant ça, une certaine inquiétude dans la voix.
Elle avait probablement senti l'odeur d'humain que Taogan trainait avec lui, même s'il ne l'avait pas eu sur le dos ces derniers jours. Il peinait à s'habituer à ses réactions, n'ayant plus eu l'habitude de recroiser des congénères sauvages depuis longtemps. Une partie de lui comprenait la réaction, mais se faire associer à un cheval d'humain lui faisait un petit peu... mal, quelque part? Ça n'était pas vraiment faux, mais il ne se définissait pas non plus comme tel. Il n'avait jamais réellement renoncé à la liberté, et savait qu'il pouvait la retrouver du jour au lendemain s'il le souhaitait. Mais malgré tout... Enfin bon, un débat pour un autre jour, il avait quelqu'un à rassurer avant tout.

- Non, ne t'inquiète pas, l'humain que je côtoie est bien loin d'ici, en Ville, je suis seul. Promis.

Il avait appuyé son regard sur le dernier mot; il voulait réellement la rassurer. C'était logique qu'un cheval sauvage craigne les hommes, et il espérait qu'elle se détende un petit peu, elle n'avait pas besoin d'être encore plus en panique.
Il prit une longue respiration, lui aussi, tentant de détendre l’atmosphère, puis prit la parole doucement, se voulant apaisant pour sa congénère toujours tendue :

- Je m'appelle Taogan, et toi? Qu'est-ce que tu faisais là, tu fuyais quelque chose ?

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La Mémoire des Arbres

Sa réponse sembla rassurer la jument, qui s’ébroua avant de lui sourire timidement et répondre:

- Pas vraiment, j'étais perdue dans mes pensées et ne faisais plus attention où j'allais.
Dit-elle, un peu gênée. Je suis Fériel.

Fériel, c'était un joli nom qui lui allait bien. Le grullo sourit en retour, content de savoir désormais comment l'appeler et, qui sait, la recroiser peut-être un jour en connaissant son nom. Quant au début de sa phrase... perdue dans ses pensées hein? Fallait croire qu'elle y était largement plongée, vu son état. Des mauvais souvenirs? Surement, Taogan connaissait trop bien le poids du passé dans l'esprit, et sans qu'elle en parle d'elle même, il aurait la décence de ne pas plus en demander.
La jument sembla l'observer, curieuse, particulièrement l'arrière de son corps, avant de demander :

- C'est joli, comme bijou! Dit-elle en pointant son museau vers les plumes à la base de sa queue, souriante. Ton humain fait parti des peaux rouges?

Taogan jeta un coup d’œil au bijou en question en souriant un instant avant de répondre à Fériel, ramenant son attention sur elle :

- Non, mon humain vient de terres lointaines, mais pas des tribus d'indigènes. On les a côtoyé quelques temps, le temps de se soigner après un évènement... peu joyeux. C'est là que l'idée lui est venu, ça me permet de pouvoir faire ma vie librement quand il n'a pas besoin de moi, et les autres humains savent que j'en côtoie déjà un et ne suis pas totalement sauvage. Ou du moins, plus vraiment...

Il avait détourné un peu les yeux. Plus le temps passait, plus sa condition de cheval d'humain et sauvage, mais pas vraiment, l'embêtait. Il était terriblement attaché à ses origines de cheval libre, plus que tout. C'était une évidence, dans ses gènes, même pas une question, il était né pour être libre. Mais parallèlement à ça, sa vie aux côtés de Pierce était tout autant naturelle; il était respectueux,n'abusait de loin pas de lui, et l'avait sauvé de la mort, littéralement, en se mettant lui-même en danger. Vivre à ses côtés lui convenait bien, vraiment. Mais maintenant qu’il rencontrait des chevaux sauvages, parler de sa vie avec les humains qui paraissait presque comme... une trahison de son lui profond. Comme si, de côtoyer les hommes, il reniait ses origines, et tout le mal que les bipèdes faisaient à ceux de son espèce.

Mais il savait que ça n'était pas le cas, que c'était bien plus complexe. Fatigué par ses réflexions, qui devenaient de plus en plus fréquentes depuis quelques temps, il s'ébroua avant de continuer :

- De mon côté, je suis né sauvage, avant d'être capturé par des hommes peu scrupuleux et clairement... peu regardants de leurs soins envers nous. Je t’épargnerai les détails peu intéressants de ma vie, mais en résumé l’humain que j'accompagne m'a sauvé d'un de ces camps, après que j'en ai vu plusieurs, et depuis on cohabite ensemble. Mais souvent, je fais ma vie dans le Cimarron librement.

Il sourit doucement. Malgré tout, ils avaient pu trouver un terrain d'entente, et c'était loin d'être le pire qu'il aurait pu trouver. Il évitait tout de même de donner trop de détails sombres sur sa vie, Fériel semblait déjà assez avoir eu d'émotions aujourd'hui, et i ne la connaissait pas encore assez, peut-être. Il ajouta :

- Et toi, tu vis seule ici? Aux dernières nouvelles, il n'y avait plus vraiment de harde dans la région, de ce que j’ai entendu, mais je me trompe peut-être.

Le grullo repensa à Féline qui parlait de peut-être créer une harde avec son maie, mais la dernière fois qu0'ils en avaient parlés, elle n'étaient toujours que elles seules.

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