‘Je ne sais pas tout.Mais j’en sais suffisamment.’

Un jour, je suis venu au monde.C’est un fait qui n’étonnera personne, je suppose.Ma mère ? La première créature que j’ai aperçu en arrivant dans ce monde, par conséquent, elle était vraiment mon univers...C’était une jument hanovrienne, assez fine mais plus grande que la moyenne pour sa race, dont la robe cuivré reflétait les bons soins des Hommes.
Car oui, les Hommes étaient aussi présents dans cet univers.C’est eux les auteurs de ce croisement entre une allemande de sport et mon père,un Shire de plus de deux mètres : je ne le connaîtrais jamais, sans aucun doute, mais de ce que j’en ai entendu il était très imposant, noir comme le charbon avec quelques pommelures couleur cendre.
J’ai donc passé les mois de ma prime enfance dans un box à poulinière,en Europe, toujours constitué de paille fraîche qui sentait les fleurs des champs:ma mère s’occupait de moi, mais le coeur y manquait, ou du moins c’est ce que je ressentais. Je crois, après réflexion, qu’elle en avait assez que les Hommes testent sur elle de nouveaux croisements;à force, son esprit s’était éteint, seul le corps suivait les automatismes maternels.En soit c’était une excellente jument de concours, au caractère de feu.Il lui manquait seulement...Des principes.
Bientôt vint l’heure de mon sevrage, donc, séparation, incompréhension, de toute manière avez-vous besoin que je vous raconte les moindres détails que tous ceux qui respirent ont déjà vécu?Je ne  pense pas.
Y-a-t-il eu des éléments notables dans mon dressage de base ? Vraisemblablement pas, mis à part le fait qu’il a été très complet et que je connais bien des trucs d’humains.Cela peut se révéler utile, dans la mesure du possible.
Ensuite, un nouveau venu est arrivé dans le tableau, un homme assez riche selon les apparences, nommée Peter.Son but ? Il aimait les attractions,et était féru de bêtes équines.
Alors imaginez sa stupéfaction en me voyant, jeune yearling, prometteur résultat d’un croisement inespéré, qui chaussait déjà plus d’1m65 alors que ma croissance n’était pas achevée...De plus, mon aspect saisit souvent ceux qui me voient pour la première fois;ils ont l’impression que je jaillis des Enfers, et c’était un point favorable à mon achat. Donc, Peter avait été convaincu que je serais attractif.
On m’a emmené dans une cale sombre, dans un box assez luxueux, mais seul, tellement seul.Les animaux qui m’entouraient se composaient uniquement de moutons, de brebis, de chèvres, aucun cheval !
C’était long, si long...Les premiers jours étaient amusants, certes, je découvrais une nouvelle manière de vivre en compagnie d’autres êtres vivants que ceux de ma race ; puis la monotonie m’a envahi, je devenais chaque jour plus blasé, plus morne, à réfléchir à des choses extrêmes, à grandir loin de toute sociabilité.
Enfin, la main de l’homme qui m’a acheté m’emmena ailleurs, et mes yeux brûlants revinrent enfin à la lumière du jour:tout se succéda très vite, d’un coup, et j’avoue que cela m’a désorienté.
Je n’ai pas envie de vous raconter le reste, mais il faut bien que vous sachiez le minimum;Peter, mon propriétaire, faisait parti d’une foire itinérante, et j’étais maintenant en confrontation directe avec mon avenir. Après la solitude prolongée du trajet en cargo je me suis retrouvée sans cesse entourée d’une foule d’animaux, de gens, de races, de bruits...Mes sens étaient assaillis de toutes parts...Mon esprit n’arrivait pas à synthétiser toutes ces informations nouvelles…
Je devins agressif, rétif, incontrôlable;je n’avais pas tout à fait terminé ma croissance mais ma puissance était déjà considérablement développée.
Peter se mit à passer énormément de temps avec moi, pour m’apprivoiser, devenir un ami, un bipède ami avec un yearling de 900k, a-t-on jamais vu ça ?
Mais il faut croire qu’il avait la foi.Sa tentative fut salué d’une victoire:je me sentais bien avec l’homme, je lui ai donné jusqu’à ma dernière parcelle de confiance.A partit de là il m’a montré les merveilles que la vie pouvait offrir, les feux de la rampe, la gentillesse, l’exotisme !
Je vivais au côté de tigres, de lions, de pumas apprivoisés ou non, et de nombreuses autres bêtes sauvages:Peter m’apprenait des tours impressionnants, pour que je montre au public ce qui me rendait exceptionnel.
Quand j’ai atteint les 4 ans, j’ai commencé à travailler dans les grosses représentations, et je suis  rapidement monté au faîte de la gloire dans les villes que nous visitions.C’est ainsi que j’ai beaucoup appris sur les animaux de toutes espèces, et aussi beaucoup sur les différents types d’humains.A l’époque j’étais gentil, ouvert sur le monde et toutes ses possibilités, peut-être un peu égocentrique mais rien de grave:la générosité était le plus important des critères dans cette vie...Cette vie-là .
Mon nom de scène est Fëanor, ce qui signifie d’après Peter ‘Epée de Feu’ ; ce nom m’avait été donné selon ma personnalité, parce que j’étais franc tel le tranchant de l’épée, équilibré ainsi que son acier, limpide comme son reflet, mais rendant un jugement sans retour possible puisque je n’avais qu’une parole et ...Si on perd mon estime, c’est souvent définitif.Et le feu...Pour ma robe ? Pour mes yeux ? Pour ma spontanéité ? Et peut-être pour ma hardiesse.Sans doute un peu de tout ça.

Dressage de haute école, travaux d’Hercule, calèche, promenade, j’étais une espèce de star ou de dieu tout puissant pour mes compagnons et même pour les Hommes.

Mais rien ne reste jamais au beau fixe.

Peter vint un soir caresser le chanfrein du bel étalon qui faisait sa fierté;je sus à l’instant que quelque chose n’allait pas.Le cirque venait de changer de propriétaire.Je n’ai jamais revu l’homme qui avait enrichi ma prime existence.
Quant à celui qui avait repris le flambeau, je ne l’ai pas vu plus d’une minute, et pour entendre des choses qui ne m’ont pas plus.Je devrais combattre désormais.Combattre?J’ignorais jusqu’au sens de ce mot.Je le connais désormais, et j’ai combattu tout et n’importe quoi, et vous devez vous douter que si je vous parle à cette heure c’est que mes victoires se sont accumulées.
Et cela m’a forcément changé.Voire totalement.

Le destin m’a conduit chez...Le destin ? Non, la trahison, la haine.
Je suis un cheval de guerre cow-boy.

UPDATE

Je ne sais pas réellement ce qui s'est passé...Je suis fidèle à ce que je suis devenu, mais en dépit de mon esprit terni, j'ai fait quelques rencontres. Notamment une jument qui compte beaucoup pour moi. Et un officier a fait main basse sur moi, également.
Il s'occupe correctement de moi, même s'il ne laisse rien passer. Ferme, à la limite de dur, mais pas injuste non plus.
Qu'importe. Les hommes sont toujours à mon sens les dominateurs incontestés. Je verrais bien quelles monstruosités je vais encore commettre pour leur bon plaisir.
   

   
‘'Feänor est un étalon somptueux.Le croisement parfait entre un race lourde et puissante, et une race noble de chevaux de sang, l’alliance de mille avantages.Admirez l’encolure arquée, la grande tête expressive, les naseaux délicats et rosés, les oreilles toujours en mouvement, ce poitrail large, ses membres longs et musclés chaussés de fanons abondamment fournis qui lui confèrent une élégance royal...Sa crinière épaisse, en dégradé de gris...Ses yeux d’un ambre flamboyant…Et sa robe, vous avez vu sa robe ? Jamais aucun de vos mustangs ni même animaux ici présents n’a quelque chose d’aussi rare et ténébreux.Sa tête est d’un doux gris perle des naseaux, et s’assombrit en arrivant à la base de la  nuque, avec quelques pommelures ; ensuite son pelage est de jais, avec une couleur braise au niveau des articulations. Un de ses sourcils est cisaillé, d’un coup de quoi ? Bref...C’est une créature exceptionnelle que je vous cède à très bon prix:j’y impose deux conditions.Vous ne lui coupez pas sa crinière, vous ne le marquez pas.Si j’ai un élevage dans quelques temps, je vous le reprendrai.Adieu.’’