Tout à commencé comme une histoire merveilleuse. Tout à commencé alors que l'aube pointait, teintant le ciel d'or et de flammes. Petit poulain est né. Petit poulain aux parents si différents l'un de l'autre.
Ma mère se nommait Pierre de Jade. C'était une ponette de Terre-Neuve, bai pangaré, avec peut-être un peu de lointain sang shetland, toute adorable qu'elle était, toute pétillante de vie, de bonheur. Une mère exceptionnelle, une confidente, une amie et une protectrice toujours vaillante sur ses membres épais, du haut de son mètre quarante-cinq. Mon père, lui, se nommait Black Soul. Il était étonnamment grand, pour un mustang. On devinait un lointain sang arabe dans ses traits, plus fins et nerveux que ceux des autres mustangs. Il était entièrement noir, à l'exception d'une petite marque-en-tête en losange.
Petit poulain fut nommé Coeur de Rouille. Et petite pouliche fut nommée Petite Pie. Car oui, j'avais une soeur, une petite soeur née quelque secondes après moi. Une étoile-en-tête, un corps noir taché de blanc, et une petite balzane herminée de noir au postérieur droit. Elle était si belle... Près avoir fait la connaissance de mes parents et de ma petite soeur, je découvris Œil-de-Loup. Mon rival de toujours. Mon demi-frère paternel, âgé de trois mois déjà. Gris souris, et pommelé. Un corps gris sombre, des crins d'un noir de jais, avec quelques pommelures encore bien visibles mais qui devaient s'effacer avec le temps. Il ne regarda même pas Petite Pie. Ses yeux vairon se posèrent sur moi. L'un jaune comme celui d'un loup, d'un jaune pâle mais intense, l'autre rouge sang. Ou plutôt, d'un brun tirant fortement sur les rouges. Et nous nous défiâmes du regard. Un sourire cynique se dessinait sur ses lèvres. Jamais je ne pus oublier cet instant où nos regards se croisèrent pour la première fois. Rivaux dès la première seconde. Je me redressais et poussait un hennissement de défi. La guerre que nous nous livrâmes jusqu'à la mort commença. Nous nous foncions dessus, nous mordions et nous frappions. Mon père nous observait attentivement. Ma mère craignait que l'on ne se fasse mal. Oeil-de-Loup gagna cette première bataille. Il était plus fort, je venais juste de naître. Mon père appela son fils. Œil-de-Loup le regarda avec une pointe de déception. Mon père lui chuchota quelques mots qui me parvinrent.
"Pas encore, Oeil-de-Loup, je veux voir s'il deviendra un vrai étalon."
Je me relevais et lançais un regard vers mon demi-frère.
"Un jour, je te vaincrais, Oeil-de-Loup. Un jour, je te le promet."
"Je te chercherais. Je te trouverais. Je t'affronterais. Mais n'espère pas gagner."
J'avais compris que dès notre premier regard, nous nous étions lancés dans une Guerre mortelle. J'avais compris que de nombreuses batailles suivraient celle qui venait d'avoir lieu, mais que la bataille finale, celle qui marquerais la fin de la Guerre, celle où l'un de nous perdrais son souffle de vie, aurait lieu lorsque nous serions devenus de puissants étalons.
Les jours passaient. Mon père emmenait souvent Oeil-de-Loup hors du troupeau qu'il avait choisit d'intégrer pour vivre aux côtés de Pierre de Jade. Ils passaient un certain temps nul ne sait où. Black Soul disait vouloir entraîner son fils à devenir un étalon protecteur. Puis ils revenaient, et la vie reprenais son cours. Quand à moi, je jouais avec Petite Pie et nos amis. On faisait la course tous ensemble, on simulait des combats d'étalon avec les mâles, sous les yeux émerveillés des pouliches. Je ne tardais pas à devenir le plus fort des poulains de mon âge. Je gagnais combat sur combat. Parfois, je sentais le regard d'Œil-de-Loup ou de mon père qui m'observait attentivement.
Et puis, j'eus deux mois. Oeil-de-Loup venait d’en avoir cinq mois. J'étais devenu un poulain tout en muscle. J'avais la réputation d'être fort et juste. Les chevaux, qu'ils soient des poulains ou même des adultes, évitaient d'embêter ma soeur, parce qu'ils savaient que je pouvais devenir assez dangereux du fait que j'étais très protecteur envers elle. Un jour, mon père et mon frère partirent, comme à leur habitude. Durant leur absence, de gros nuages noirs s'entassèrent dans le ciel et il commença à pleuvoir. La pluie se transforma vite en orage. Le tonnerre, les éclairs, je n'avais jamais connu ça. Ma soeur était effrayée. Elle se réfugia auprès de ma mère et moi. Je n'avais pas peur. Je tentai de la rassurer. Elle finit par se calmer, mais je la sentais tendue. Et puis, un hennissement strident retentit. Mon père surgit de la forêt non loin, un couple de couguars affamés et visiblement enragés à ses trousses. Je ne voyais pas Oeil-de-Loup. Mais je ne m’attardai pas là dessus : mon père fonçait droit sur le troupeau ! Les couguars se mirent à attaquer poulains et chevaux avant que ceux-ci ne puissent se défendre. Il faisait sombre et les hennissements apeurés du troupeau retentissaient. Je tentais d'aider, me faufilant parmi les formes sombres qu'étaient les chevaux. Soudain, je sentis quelque chose devant mes sabots. Un éclair illumina ciel et terre. Je découvris alors avec horreur le cadavre ensanglanté d'un de mes camarades de jeu.
Glacé d'effroi, je regardais autour de moi. Chaque éclair illuminait des corps inertes et des chevaux affolés. Le chef du harem et les chevaux de protection tentaient de repousser les couguars, mais les prédateurs voyaient parfaitement alors que nous ne distinguions que des formes sombres. Soudain, un nouvel éclair éclaira la pire seine qui soit : non loin, Oeil-de-Loup se cabrait en face de ma soeur affolée. Ses sabots retombèrent sur la pouliche. Elle s'écroula. Je me ruais vers elle pour l'aider. Mais lorsque j'arrivais, je découvris son corps inerte et ensanglanté. La vie s'était échappée par la gorge qu'avait ouverte mon demi-frère. Le poulain me regarda de ses yeux vairons. Il souriait, sadique, cynique et cruel. Puis, soudain, il tourna les sabots et s'enfuit parmi les autres chevaux.
En larmes, effondré, je restais auprès de ma soeur sans vie. Un formidable grondement retentit. Je levai la tête. Un éclair me permit de distinguer la forme qui me bondissait dessus. Le couguar mâle ! Je sentis ses griffes m'entailler le flanc. La plaie se mit à saigner. Il m'aurait sauté à la gorge si le chef n'avait pas surgit de nul part. Il attrapa le couguar qui se retourna pour l'attaquer. Je dois la vie à cet étalon. Lui ne le sait sans doute pas, il n'a fait que son devoir de Dominant. Mais je lui suis éternellement redevable. Pourquoi ma soeur n'a pas eu ma chance ?
Ma mère m'appela. Aussitôt, je jetais un regard à Petite Pie. Inutile de rester auprès de son corps. Son âme était dans les cieux. Alors, comme un lâche, je m'enfuis. Je rejoins Pierre de Jade, Black Soul et Oeil-de-Loup. Je jetais à ce dernier un regard empli de haine farouche. Il me sourit. Tous les quatre, nous rejoignîmes le couvert de la forêt. Le Troupeau avait repoussé les couguars. La plaine ou nous avions livré combat était rouge de sang. Cinq chevaux avaient perdu la vie, dont deux de mes camarades de jeu et ma soeur. Une dizaine d'autre étaient blessés. Mon père avait volontairement entraîné les couguars sur le harem pour semer la panique et permettre à mon frère de tuer ma soeur ! Je haïssais mon père, je haïssais mon frère. Ma mère, elle, crut que sa fille avait été victime d'un couguar. Tristement, elle suivit mon père qui nous entraîna jusqu'aux Plateformes.
L'étalon dit vouloir nous montrer le paysage et s'approcha du vide. Ma mère se plaça à côté de lui. Soudain, Black Soul souffla un mot, un seul. Adieu.
"NON
"
Je me précipita sur ma mère. Mais mon père la poussa dans le vide. Glacé d'effroi, je la vis tomber. Je rejoins la vallée en contrebas grâce à une corniche et à un saut magistral. Pierre de Jade s'écrasa au sol. Je me précipita.
"Cœur de Rouille, mon fils... Je suis désolée, désolée pour tout... Je t'en prie, ne meurt pas toi aussi, tu dois devenir un bel étalon."
Les larmes coulaient, la blessure que j'avais au flanc saignait. Je jetai un regard haineux vers Black Soul et son fils. Les deux chevaux vinrent me rejoindre en contournant les Plateformes. Mon père me mordit pour que je me relèves. Comme je ne voulais pas quitter ma mère, il me saisit par l'encolure et me traîna sur une vingtaine de mètres. Il me mordit de nouveau. Je n'avais pas le choix, et dut me résoudre à le suivre.
Il nous entraîna jusqu'au troupeau. Il prétendit que notre mère avait été attaquée par un puma. Une jument s'occupa de moi, mon frère étant assez grand pour le sevrage. Le lendemain, mon père alla entraîner Oeil-de-Loup. Mais il me dit de le suivre également. Il ne nous enseigna pas du tout comment devenir des étalons de Protection. Il nous entraînait à tuer. Il était fier de mon demi-frère. Mais moi, je refusais d'être cruel comme lui. Alors il me frappait de ses sabots et me mordait de ses dents. A force d'être maltraité, je devins méchant. Je devenais de plus en plus froid, et je finis par devenir comme Oeil-de-Loup. Black Soul en était fier. Lorsque j'eus un an, il m'ordonna de tuer. Mais, au lieu de tuer un de mes semblables, je tua un couguar. Mon père me félicita. Le lendemain, il tua de ses propres sabots une jeune jument du troupeau et s'enfuit avec nous.
Il nous amena au Fort des Cow-Boys, qui était son lieu de vie avant qu'il ne gagne le harem. Le cavalier qui était le sien était un homme dur qui ne tolérait presque rien. Un écart ; vlam, un coup de cravache. Une pierre qui nous fait trébucher ; vlam, un nouveau coup de cravache. Il fut désigné pour s'occuper de mon éducation. Oeil-de-Loup reçut un cavalier moins dur. Je grandis dans la haine et la souffrance. Un jour, un cheval prit plaisir à m'embêter. Ce fut la dernière chose qu'il fit. Je le tua, et je tua aussi son cavalier qui lui était si cher.
Résultat : le poteau. Le stupide poteau. La nuit tombée, je n'eus aucun mal à me libérer en cassant la corde à moitié pourrie et en soulevant le loquet de la carrière. Malheureusement, je ne parvins pas à ouvrir les portes du Fort pour m'échapper. Alors, pour passer le temps, aussi silencieux qu'une ombre, je me glissai dans l'une des cabanes où dormaient les hommes. Et je blessai son occupant.
Il eut deux côtés fêlées, une jambe et un bras cassé. Mon père était fier, mon frère jaloux.
J'étais craint et méprisé dans tous le fort. J'aimais ça. Mais les Hommes m'emmenèrent loin de là et me laissèrent. Seul. La vie de solitaire. Tuer, être craint. Le paradis. J'avais appris à combattre en jouant, puis à tuer dans le troupeau, et à être craint chez les Cow-Boys. J'appris à être un démon libre en solitaire.
J'avais un an et demi. J'étais devenu un bel étalon. Comme il m'en avait fait la promesse, mon frère me chercha. Il me trouva. Et il m'affronta. Le hennissement de défi retentit dans l'air sec. Nous nous ruâmes l'un vers l'autre dans un fracas de sabot. Un morsure, une ruade dans l'épaule. Mon frère qui chancelle, se redresse et me mord sauvagement le garrot. Je lui attrape l'antérieur gauche et tire de toute mes forces. Je le projette quelques mètres plus loin et me cabre au dessus de lui. Mes antérieurs retombent sur sa cuisse. Il hennit de douleur.
Le combat sembla durer une éternité. Alors que j'étais au sol, l'étalon gris prêt à me tuer, la pensée de venger ma soeur me donna la force de me rouler sur le dos et de décrocher une ruade dans la gorge de mon rival, qui en eut le souffle coupé. Je me redresse et lui mordis la gorge. Son corps tombe au sol, inerte. Ensanglanté, je regarde fièrement l'étalon sur lequel j'ai triomphé. La guerre est terminée. Mais il y en a une autre que je dois livrer. Une autre que je dois gagner. Parce qu'une jument, j'en ai une autre à venger.
Je déboule au fort, enragé. Mon hennissement de défi retentit. Un autre me réponds presque aussitôt. Par chance, les portes du Fort sont ouvertes. Je me glisses entre les quatre murs de bois. L'étalon noir ébène est là, il me regarde fièrement.
"Alors c’est toi le vainqueur. Je savais que tu reviendrais venger ta mère. Je ne te ferais aucun cadeau, Cœur de Rouille."
La bataille commence. Coups de sabots, morsures, hennissements. Puis je cogne l'épaule de mon père qui roule au sol. Je plonge mes dents sur lui. Il ne se relèveras plus jamais. Alors je m'enfuis.
Deux jours plus tard, je me suis fait bêtement capturé par les indiens. Ils m'ont emmenés chez eux. De gentils chevaux m'ont appris à vivre avec eux. Sauf que je voulais les tuer. J'ai eus pitié d'eux et je les ai laissé vivre à la fin. Les Indiens m'ont enfermés dans un petit enclos ridicule. J'y suis resté trois jours. Chaque matin, je retrouvais des pommes. C'était toujours le même Indien qui me les offrait. Son odeur flottait dans l'air. Trois jours plus tard, l'Indien en question fait son apparition. Wakiza, un futur guerrier rêveur. Il était plutôt gentil, ce qui n'était pas du tout mon caractère, mais je m'y attachais assez vite.
Wakiza avait une soeur, Ashaisha. Elle était plus douce qu'un nuage et avait un patience infinie, contrairement à son frère. Elle passait de longs moments à tenter de me rendre plus gentil, me parlant doucement de l'autre côté de la barrière. Un jour, une guerre éclata. Les Cow-Boys attaquèrent. Dans le chaos, je parvins à casser la barrière et je m'échappa. Seulement, au lieu de m'enfuir, je chercha Wakiza et Ashaisha. Les deux Indiens étaient coincés entre le feu et trois Cow-Boys montés sur de vieilles connaissances. Je savais bien que les Hommes du Fort voulaient faire prisonnier les Indiens. Sans hésiter, je bondit entre ces derniers et leurs ennemis. Faisant face aux Cow-Boys, je me cabra.
"Que fait-il ici ?" cria un Homme, apeuré au souvenir de l'Homme que j'avais tué et de celui que j'avais gravement blessé.
Les chevaux, eux aussi, m'avaient reconnus et savaient que j'avais tué un cheval, ainsi que mon demi-frère et que mon père réputés pour être dangereux. Je profitais de leur affolement pour bondir sur le premier cheval et le mordre férocement. Il s'enfuit aussitôt en embarquant son cavalier. Affolés, les deux autres cavaliers firent tourner leurs montures et suivirent le premier. Je fis signe à Wakiza de monter sur mon dos. Il bondit et saisit mes crins. Il invita sa soeur et je les amenais en sécurité dans la Forêt. Mais Wakiza, porté par le désir de venger ses parents que les cow-boys avaient tués, me persuada de le ramener sur le champ de bataille. Alors, côte-à-côte, nous affrontions les Cow-Boys.
La bataille terminée, les Indiens constatèrent avec soulagement qu’aucun des leurs ou qu’aucun cheval n'avait été capturés. Mais je vis non loin une jument pie noire que je n'avais encore jamais vu. Elle portait une selle et un filet. Elle était visiblement une cow-boy. Mais elle me rappelait ma soeur et m'inspirait confiance. Je m'approche. Elle me dit qu'elle venait du troupeau avant d'être capturée. Je la conduit à Ashaisha. L'Indienne et la jument devinrent aussitôt de bonnes amies. La jument, Lueur, devint une jument de surveillance et Ashaisha fut sa cavalière. Wakiza devins un guerrier et on me plaça au rang de Cheval de Guerre.
J'aimais Lueur, ma soeur de cœur. Grâce à elle, à Ashaisha et à Wakiza, je redevins le poulain que j'étais, gentil et généreux. Les Indiens me renommèrent, et c'est ce nom que je porte désormais.
J'avais presque trois ans lorsque survint l'accident. Wakiza et Ashaisha s'étaient offert une petite balade avec Lueur et moi. Soudain, un couguar surgit. Il attaqua Ashaisha qui tomba de Lueur. Je réagit au quart de tour et attrapa le couguar afin de dégager l'Indienne. L'animal me griffa le poitrail et me mordit le ventre. Je tombais et mon membre se prit dans des ronces. Le couguar bondit sur Lueur qui, affolée, se roula par terre pour l'écraser. Mais, rapide, le couguar bondit de côté et lui griffa le ventre. Wakiza libéra mon membre des ronces et je bondit pour sauver ma soeur de cœur. Trop tard : le couguar la mordit à la gorge. La rage s'empara de moi. Je donna un coup dans le prédateur qui vola littéralement. Il se cogna contre un arbre et tomba au sol. Je me ruais sur lui et le piétinait. Il demeura inerte. Alors je revins auprès de ma chère Lueur, pleurant durant toute une semaine sa mort. Elle avait été mon réconfort, ma lumière, mon ange. Elle avait été la soeur que je n'avais jamais eu. Oeil-de-Loup, Black Soul, je vous maudit tout autant que chacun des couguars de ce monde.
Cette épreuve me referma sur moi-même. On aurait pu dire que rien n'avait changé depuis mon arrivée. J'étais froid et silencieux. Mais, en fait, Lueur m'avais appris à ne plus tuer sans raison. Et, j'étais devenu un peu plus commode. Je pouvais supporter la compagnie et on pouvait me supporter. Avant, je ne cherchais pas à comprendre et je classais tout le monde comme un ennemi. Désormais, je restais froid mais si quelqu'un arrivais à percer ma carapace, alors je dévoilais mon cœur tendre.
C'est ce qui se passa avec une belle jument arabe. Je l'ai rencontré un jour ou elle s'était fait capturée. Une jument du troupeau. De longs crins doucement ondulés, un corps parfait. Une robe aubère. Elle n'était pas faite pour la vie indienne, ça se voyait. Lorsqu'elle dût être placée dans un enclos, on la mit avec moi. Elle était douce et gentille. Elle ne tarda pas à me faire sourire.
Nous vivions heureux tous les deux. Chaque jour elle me semblait plus belle et plus gentille. Je parvint à lui rendre sa liberté. Mais, huit mois plus tard, alors que j'avais deux ans et sept mois, elle revint me voir et m'annonça qu'elle attendait un poulain. Notre poulain. Ravi, je lui dit d'élever ce poulain dans sa Harde. Je savais que ça signifiait que je ne connaîtrais sans doute pas mon fils, mais je ne voulais pas que la mère soit triste. Elle était faite pour la vie sauvage, et la séparer de son poulain serait une chose horrible. Moi, j'étais fait pour être un Indien.
Trois mois plus tard, j'avais atteint deux ans et dix mois. Je voulus aller rendre visite à ma compagne et à mon fils qui devait être né. Mais alors que j'étais dans la forêt, j'entendis des cris. J'arrivais juste à temps pour voir ma douce jument s'écrouler au sol, morte. Un couguar fut chassé par la Harde et se dirigea dans ma direction. Je le tua sans pitié. On m'avait pris ma soeur, ma mère, ma chère Lueur et ma douce jument. On m'avait donné Oeil-de-Loup et Black Soul, les deux êtres les plus détestables du monde. N'ai-je pas connu assez de malheurs ? Je ne vis pas la petite pouliche se précipiter sur le corps de sa mère. Je fis demi-tour et retourna au camp, effondré. Si seulement j'avais sut que j'étais père...