- Dis, raconte-nous une histoire des temps anciens s'il-te-plaît...

- Encore ? Bon, d'accord. Mais cette fois, vous ne m'interrompez pas.
Mon histoire commence il y a fort longtemps, au-delà des terres du Cimarron... Dans un monde où les Cow-Boys n'existent pas, et où les rares hommes qui y vivent sont nomades. Ces hommes, comme les Indiens qui nous élèvent, vénèrent leurs chevaux, qui le leur rendent bien. Ils vivent en totale liberté, et sont suffisamment nombreux pour faire des nombreux poulains et ne pas forcer les hommes à capturer les chevaux sauvages. Dans ce monde, ne vivent avec les hommes que ceux qui le souhaitent...

Un jour, un petit poulain pie gris naquit, fierté de sa mère et de tout le peuple des hommes. On s'occupait de lui tout comme de sa mère, et il ne manquait de rien. Quelques jours seulement après sa naissance, un violent orage éclata. Les hommes pensaient que de tels déchaînements du ciel annonçaient toujours un mécontentement des Dieux, et qu'ils envoyaient sur Terre pareils cataclysmes pour amener les êtres à expier leurs fautes. Et, malgré tous les bons soins qu'ils avaient toujours prodigué à leurs bêtes, il semblerait que les Dieux ne s'en soient pas contentés...
Les chevaux, effrayés par les éclairs et le bruit assourdissant du tonnerre, fuirent cet endroit. Ils s'éparpillèrent, et bientôt, le petit poulain pie se retrouva seul avec sa mère, loin derrière les fiers étalons qui avaient fuit les premiers.

Le lendemain, la Terre, lavée par les torrents d'eau, s'était calmée. La petite famille partit à la recherche des hommes, pour les retrouver, et bénéficier de leur protection. Mais, sans les hommes, deux chevaux isolés font une proie de choix pour les prédateurs... Et un puma, fort et puissant, était du même avis.
Écoutant les cris désespérés de sa mère qui tentait de se battre contre le carnivore pour sauver son fils, le poulain recommença à fuir, comme la nuit précédente. Après avoir couru pendant des heures et s'être écroulé de fatigue, il continua à chercher les hommes.

Mais, trop jeune, il commença rapidement à ressentir la faim. L'herbe ne lui convenait pas, il avait besoin de lait.
Est-ce un coup du Destin pour s'excuser de lui avoir enlevé sa mère si jeune ? Ou simplement le fruit du hasard ? Quoi qu'il en soit, il trouva au bout de 2 journées longues comme une vie un troupeau de chevaux, dont l'une des juments accepta de le nourrir, en plus de sa pouliche. Ce troupeau paissait non loin d'un camp d'Indiens, qui habitaient là depuis plusieurs générations. Il avait découvert les terres du Cimarron.

Mais ce n'étaient pas les mêmes hommes, et pendant de longs mois il refusa qu'un quelconque bipède ne s'approche de lui. Mais, à force de patience, un jeune homme, au doux nom de Plume d'Aigle, parvint à s'accorder la confiance du pie. Et, dès lors qu'il parvint à le caresser, cet homme se retrouva lié à ce jeune cheval pour le restant de sa vie.
Il en prit soin et, pour le distinguer des autres, il commença à le peindre. Il utilisa le violet, obtenu à partir d'une racine rare et difficile à trouver. Mais il voulait que son étalon soit unique, et à mesure que ce dernier grandissait, il lui rendait cette attention par une fidélité sans failles et un amour inconditionnel.
Le violet recouvrit peu à peu les tâches grises, et l'étalon finit par se faire appeler du nom de la Chance. Plume d'Aigle devint chef de la tribu Indienne, et l'étalon pie continua à rester pour son humain. Il l'accompagnait partout, et ne s'évadait que rarement du camp des Indiens, où il se sentait chez lui.

Au bout de quelques années, le jeune étalon tomba amoureux. D'une jument sauvage, que son cavalier avait sauvé d'une mort certaine alors qu'elle avait été mordue par un serpent. Si cela ne fit que renforcer la confiance indéfectible du cheval en son cavalier, cela engrangea aussi un amour entre les deux équidés qui aujourd'hui dure encore.
De cette passion naquit une pouliche, aussi belle que ses deux parents. Elle faisait leur bonheur, et le chef veilla à que cette jeune jument plus que spéciale grandisse avec les meilleurs soins possibles.

Mais, sur ces terres bien différentes de celles où il avait vu le jour, les rivalités étaient nombreuses. Et les Cow-Boys, envieux des Terres et des chevaux Indiens, finirent un beau jour par attaquer le camp. Tous les équidés du camp furent mis à contribution pour repousser l'envahisseur, et cela se solda par une grande victoire, qu'aujourd'hui encore nous célébrons chaque année.
Mais la guerre n'est jamais entièrement gagnée ou perdue... L'étalon du chef fut rudement blessé, et fait prisonnier avec son cavalier. Et, pire que tout : sa fille et la jument qu'il aimait plus que sa propre vie furent tuées.

Depuis ce jour, l'étalon voue un amour absolu à ces fantômes. Prisonnier au fort des Cow-Boys avec son cavalier pendant de longues années, il fut considéré comme porté disparu pour les siens. La vie chez les Indiens continua, et ils oublièrent le chef et le cheval des anciens temps... En même temps qu'oublier cette guerre meurtrière, ils en oublièrent les noms et les visages des protagonistes.

Au fort, l'étalon perdit ses couleurs violettes. Il maigrit, sembla presque rapetisser aux yeux de son cavalier de toujours, et se plongea dans un profond mutisme, dont il ne sortait guère. Seul son cavalier, unique ami, et désormais unique famille, parvenait à le faire encore un peu tenir à la vie.
Plus de 10 ans s'écoulèrent. L'ancien Indien, toujours retenu de force au fort, tomba amoureux, et un fils moitié Cow-Boy moitié Indien naquit d'une union qui, au vu du métissage du bébé, ne resta pas secrète bien longtemps. Le vieil Indien fut alors la cible de plus en plus de coups, de plus en plus de punitions, et n'avait parfois même plus la force de venir s'occuper de son étalon.

Mais ce fut ce jeune homme métissé qui reprit le flambeau. Il écoutait les conseils et les histoires de son père, et apprit à aimer cet étalon comme le faisait son père. Au fur et à mesure que les années passaient, le vieil Indien dépérissait, et son fils apprenait à connaître ce petit étalon pie gris, qui, grâce à lui, avait véritablement reprit goût à la vie.
Alors, le jour où le vieil homme mourut sous les coups, le fils partit avec sa mère, une nuit, pour rejoindre le camp Indien. Sa peau basanée lui permit d'être accepté au camp, et sa mère également. De plus, certains anciens reconnurent le petit pie aux yeux vairons.
Le chef était rentré chez lui.

Aujourd'hui, l'étalon est à nouveau peint en violet par ce petit bout d'homme qu'il considère comme son nouveau chef. Il a repris goût à la vie, et n'invoque ses souvenirs que pour ne pas oublier qui sont ceux qui l'ont forgé. De ceux qui lui ont donné la vie, à ceux qui la lui ont sauvée...

- Et ce cheval, comment s'appelle-t-il ?

- Galimybé. Il s'appelle Galimybé...

- Viens, petit. Regarde, l'eau est si claire qu'on peut se voir dedans. Et si calme que notre reflet n'est même pas troublé. Qu'est-ce que tu vois ?

- Je vois... Un cheval. La première chose qui me frappe, c'est sa couleur. On sait tous que ça n'est pas naturel, un cheval ne peut pas être violet. Mais la peinture est bien répartie, elle recouvre certainement des tâches, ce qui en fait un étalon pie violet.
Il est plus blanc que violet, d'ailleurs. Mais il n'a que deux sabots clairs : sur les deux autres pattes, les boulets sont violets, donc ses sabots sont marron.
Ses crins sont majoritairement blancs. Sur sa crinière, ils sont violets près du garrot seulement. Et sur la queue, sur le dessus, et juste aux extrémités. Aux extrémités, ça ne doit certainement pas recouvrir les tâches naturelles, ça doit juste être là pour faire beau.
Et il a des yeux de deux couleurs différentes, c'est très étrange. Un vert et un marron. Je trouve que ça lui donne un air rêveur, comme s'il ne nous regardait jamais vraiment...
Et toi, qu'est-ce que tu vois ?

- Moi ? Je vois un petit cheval, qui certainement n'atteint même pas la taille minimale pour être considéré comme tel. Pas très costaud, ses muscles ont fondu avec l'âge et surtout les épreuves. Il est plutôt frêle, court sur pattes, mais on peut dire qu'au moins il est bien ancré les quatre sabots sur terre.
Le violet gâche un gris qui n'est même pas particulièrement joli. Un gris poussière, voire même cendre. Rien de très gai, et cette peinture violette, en plus de sentir fort, doit être refaite tous les jours pour être couvrante.
Sinon, à part ses tâches, il n'a rien de remarquable ni de très différent des autres. C'est un cheval banal...

- Mais il a les yeux vairons, comme toi.

- C'est vrai, comme moi...